De mes seize ans je me souviens d’un homme au journal de vingt heures de Bruno Masure annonçant le génocide au Rwanda un an avant son apogée.
Dans le même temps, je pleurais au cinéma devant « La liste de Schindler » et je comprenais toute l’horreur d’un génocide. Il était alors entendu qu’un tel phénomène ne pouvait pas se reproduire. Seulement voilà, le doute s’était désormais installé.
Quand un an plus tard, le 7 février 1994, j’entendais parler de « très violents combats », de « guerre civile », d' »affrontements ethniques », jamais ne revenait le mot génocide. Seuls quelques rares journalistes comme Daniel Mermet en parlaient en ces termes.
Cette histoire est toujours aujourd’hui un traumatisme pour moi. Qui croire? Qui détient la vérité? Qui agit? Quel est mon pays? Que faisait l’armée française présente au Rwanda?
Douze ans plus tard, en 2006, je commençais ma carrière de photographe. Un professeur de l’université de Paris 8 m’a contacté pour l’accompagner au Rwanda avec un groupe composé d’étudiants de Paris 8, de l’UEJF (Union des étudiants juifs de France) et d’étudiants rwandais rescapés vivants en belgique.
Mon rôle était de les suivre dans leur voyage et de conserver les moments vécus dans les lieux de mémoire, dans les rencontres avec des rwandais et dans les commémorations.
Pour réaliser ce reportage, je suis parti avec un reflex numérique, mais méfiant de n’avoir qu’une trace digitale, et face à cette phrase souvent entendu : «C’est le propre du génocide qu’on efface tout», j’ai ressenti le besoin de doubler ce reportage par une version pellicule qui me garantissait une trace tangible de ce moment.
Le reportage officiel a fait l’objet d’une exposition mais ces photos personnelles sont restées archivées pendant huit ans. Ces photos sont difficiles à regarder et à comprendre sans explications ou sans légendes. J’ai eu tout ce temps du mal à les revoir, à les choisir, à expliquer les lieux, les personnes, les situations qui ont été rencontrées. Mais ayant envie de toujours plus de lumière sur ces événements, je ressens le besoin de les montrer en cette date anniversaire.
C’est donc un extrait de ce reportage personnel qui est présenté ici.
Sur les hauteurs de Murambi
Ce bâtiment sur les colines de Murambi devait être une école polytechnique. Il a été le théâtre du massacre de plus de 50000 femmes et enfants.
En arrivant nous somme tous pris par l’atmosphère pesante du lieu.
Ces bâtiments qui devaient être des salles de classes accueillent aujourd’hui des centaines de corps embaumés, exposés à la vue de chacun.
Les corps posés sur des claies exhibent les stigmates d’une violence inouïe.
Il est facile de regarder ce paysage quand on ne sait pas que les bosses du terrain sont le lieu d’un immense charnier.
En repartant nous avons tous le même visage.
Le mémorial de Ntarama
L’église de Ntarama conservée en l’état, protégée d’un auvent.
Ce jeune homme nous explique combien est important ce travail de conservation et d’identification pour que chacun puisse se
reconstruire.
Portrait d’un des conservateurs du lieu.
Les ossements et vêtements sont inspectés un à un afin d’essayer d’identifier et de retrouver des défunts.
En marchant sur le sol on n’aperçoit pas tout de suite les ossements encore présents dans leurs habits.
l’autel dévasté de l’église de Ntarama.
Chaque retour en bus laisse chacun abasourdi.
Mon malaise face à ce génocide est toujours aussi présent. Les actions de la France à l’époque et les rapports actuels qu’elle entretient avec ce pays gagneraient à plus de transparence. C’est ce que je souhaite en imaginant la levée de certains secrets militaires. Ceci aiderait le jeune adolescent que j’étais à savoir s’il avait raison de se méfier, d’avoir peur et d’avoir des doutes. Je sais maintenant à l’âge adulte combien cette clarté est nécessaire pour arriver à la réconciliation des peuples.
3 Commentaires
Il est toujours aussi difficile d’expliquer comment une force collective peut arriver à de telles extrémités qu’un individu seul ne pourrait même pas imaginer.
Merci pour ton témoignage, et ton courage de l’avoir ressorti et montré.
Merci pour ton commentaire.En effet en allant là-bas je pensais pouvoir en comprendre plus sur ce point précis mais hélas… cela reste inimaginable.
Je pense même aujourd’hui que le comprendre serait l’accepter.
Merci pour ce témoignage poignant. Ces photos méritaient d’être vues.